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Enjeux de la Consultation sur le programme Éthique et culture religieuse.

Par M. Alain Gignac, directeur de l'Institut d'études religieuses, Université de Montréal.

presence-info.ca/article/lettre-ouverte/enjeux-de-la-consultation-sur-le-programme-ethique-et-culture-religieuse


Tout comme le ministre Roberge qui fut enseignant au primaire, j’ai moi-même enseigné jadis au secondaire: d’une part dans des programmes d’Enseignement religieux catholique, d’Enseignement moral ou un programme pilote de Culture religieuse et, d’autre part, dans le programme de Formation personnelle et sociale (FPS). J’ai toujours été convaincu de l’utilité des deux types de programme. Ils ouvraient un espace de réflexion aux élèves qu’on ne trouve pas dans d’autres cours. L’école secondaire n’est pas seulement une boîte à cours, mais un lieu où se forge l’identité des adolescent.e.s. Après tout, nous n’avons pas un Ministère de l’instruction publique, mais un Ministère de l’éducation.

Lors de la réforme de l’éducation qui a suivi les États généraux de 1995-1996,  le programme FPS est disparu (avec ses volets santé, sexualité, relations interpersonnelles, consommation et vie en société). Après la déconfessionnalisation définitive du système scolaire en 2000, il a été décidé de remplacer l’Enseignement religieux confessionnel et l’Enseignement moral par un programme d’Éthique et culture religieuse (ECR), implanté en 2008. Les dimensions morales et religieuse furent intégrées en un seul programme, moyennant un double changement de paradigme : nous sommes passés de l’étude de la morale au développement d’une réflexion « éthique », et d’un enseignement religieux confessionnel à une approche culturelle des religions.

Or, voici que le ministre plaide maintenant pour une refonte majeure du programme ECR où l’enseignement structuré des religions et même l’enseignement de l’éthique risquent d’être dilués, voire de disparaître, et où, back to the future, on réactive plusieurs contenus du défunt programme FPS. Qu’on en juge, à partir des huit thèmes proposés dans la Consultation sur le programme ECR : participation citoyenne et démocratie, éducation juridique, écocitoyenneté, éducation à la sexualité, développement de soi et des relations interpersonnelles, éthique, citoyenneté numérique, culture des sociétés. J’aimerais interpeller le ministre à propos de deux enjeux liés à la consultation en cours.


Présenter correctement le programme ECR  

Premier enjeu: la consultation citoyenne en ligne est mal partie. Sur le site de la consultation, on donne une description tronquée du programme de ECR: «Le programme d’études Éthique et culture religieuse vise à développer la réflexion de l’élève sur le vivre-ensemble. À travers les finalités que sont le bien commun et la reconnaissance de l’autre, indissociables de la connaissance de soi, les outils nécessaires pour exercer son rôle de citoyen de manière éthique et responsable lui sont donnés».

Cette description, bien qu’elle reprenne les deux finalités du programme, ne figure nulle part telle quelle dans le programme ECR actuel (primaire ou secondaire) et elle ne rend pas compte de ses trois visées (compétences): 1/ réfléchir sur des questions éthiques, 2/ manifester une compréhension du phénomène religieux, 3/ pratiquer le dialogue.

Il s’agit donc d’une présentation biaisée que tout élève du secondaire apprend à débusquer en ECR lorsqu’il ou elle explore les conditions d’un véritable dialogue. En fait, elle met la table pour un nouveau programme FPS («connaissance de soi») où l’éthique et surtout les religions seront vraisemblement marginalisées. Si l’on veut que cette consultation soit crédible, le programme sur lequel elle prétend porter doit être présenté correctement.


Évaluer d’abord le programme actuel

Deuxième enjeu: dans cette consultation, on ne demande jamais si l’on désire conserver le programme ECR actuel et, le cas échéant, quelles modifications pourraient lui être apportées. Ne serait-ce pas la première question à poser, après en avoir fourni une description conforme? Que souhaite la majorité de la population à cet égard?

On se rappellera que le programme ECR a été implanté en une seule année (2008) à dix niveaux du primaire et du secondaire en même temps, sans formation suffisante du corps enseignant, avec des manuels préparés sous pression – et qu’il n’a jamais été évalué. Outre les perceptions et les coups de gueule idéologiques de la part des adversaires ou des défenseurs du programme, que sait-on de la satisfaction ou de l’insatisfaction réelle des élèves, des enseignant.e.s, des parents, des directions d’école?

Avant de proposer «de nouveaux thèmes qui enrichiront le programme d’études et remplaceront, en tout ou en partie les notions de culture religieuse», comme l’énonce la consultation, pourrait-on vraiment prendre le temps d’évaluer le programme actuel?

Depuis sa création, ECR est décrié au Québec, souvent pour les mauvaises raisons. Mais à l’extérieur du Québec, à l’international, le programme a été maintes fois reconnu comme une expérience créatrice et porteuse. Plutôt que de nettoyer le bébé pour le revigorer, allons-nous, comme le dit l’adage, le jeter avec l’eau du bain?